Ouiouistes et nonistes : derniers échanges une
Ouiouistes et nonistes : derniers échanges
Depuis le mois
de septembre, de Perpignan à Bayonne, de Toulouse à Valenciennes, de Brest à
Grenoble, de Bordeaux à Besançon, j’ai donné plus de 125 conférences. Je n’ai
pas parlé de la Constitution, je l’ai montrée. Ceux qui sont venus ont pu au
moins lire les articles que je leur ai présentés. Je ne parle pas
au nom d’un parti, ni même d’une association. Je m’exprime comme un simple
citoyen qui porte la voix de ses semblables, de celles et de ceux que j’ai
rencontrés dans nos villages et nos faubourgs, dans nos hameaux et nos quartiers
qui, spontanément, se lèvent partout pour rejeter les chaînes qu’on veut leur
imposer. Il y a, au moins, cinq raisons de dire « non » le 29 mai. Au moins
cinq. 1. Je suis
contre ce traité auquel on donne la force d’une Constitution, parce qu’une
Constitution, c’est un texte court, précis, accessible au plus grand nombre. Une
Constitution, c’est un texte qui rassemble. On nous demande
de dire « oui » à un texte de 448 articles qui exigent en plus la lecture de 440
pages d’annexes pour être interprétés valablement. On nous demande
de dire « oui » à un texte confus, un texte qui ne définit pas un certain nombre
de concepts, un texte dont certains articles sont contredits par d’autres ; un
texte qui n’a pas simplifié les traités existants et qui n’a pas simplifié les
institutions existantes. On nous demande de dire « oui » à un texte d’une
complexité telle qu’il est bien souvent incompréhensible. Enfin, on nous demande
de dire « oui » à un texte qui provoque, dans plusieurs pays d’Europe, des
déchirements profonds. Comment peut-on
accepter une Constitution de 448 articles ? Comment peut-on
se reconnaître dans un texte confus et
contradictoire ? Comment peut-on
dire « oui » à quelque chose qu’on ne comprend
pas ? Comment peut-on
soutenir un texte qui divise ? 2. Je suis
contre ce traité à propos de l’Europe parce qu’il renie les valeurs nées en
Europe : - c’est en
Europe qu’est né le principe de laïcité ; la Constitution ne le consacre pas ;
elle reconnaît les Eglises ce qui lui permet de les subventionner ; elle permet
la manifestation des opinions religieuses dans les espaces
publics ; - c’est en
Europe que fut arraché – et à quel prix ! – le principe : « tous les pouvoirs
émanent du peuple » ; ce principe fondateur de la démocratie n’est ni
inscrit, ni mis en œuvre dans ce traité ayant force de Constitution ;
- c’est en
Europe qu’on a établi les caractéristiques principales de la démocratie :
séparation des pouvoirs, contrôle parlementaire du pouvoir exécutif. Le texte
qu’on nous demande d’accepter organise la confusion des pouvoirs entre
l’Exécutif et le Législatif. Il constitutionnalise ce qu’on appelle, depuis près
de 50 ans, le « déficit démocratique européen » : la Commission, qui n’est pas
issue du suffrage universel, conserve le monopole de l’initiative législative ;
l’institution suprême de la décision européenne, le Conseil des Ministres, n’est
comptable de ses choix politiques devant personne, ni devant nous, ni devant
ceux que nous élisons à l’Assemblée nationale ou au Parlement
européen ; - c’est en
Europe que furent arrachés, au prix de luttes politiques et sociales extrêmement
dures, les droits collectifs, ces droits sociaux qui organisent la solidarité
dans une société de liberté ; ce que la Constitution et la loi françaises ont
consacré, ce qui se trouve aussi dans les Constitutions et les lois de très
nombreux pays d’Europe, ce qui se trouve enfin dans la Déclaration Universelle
des Droits de l’Homme, le droit à l’éducation et à la culture, le droit à la
santé, le droit au travail, le droit au logement, les droits à prestation, aucun
de ces droits, mis à part le droit à l’éducation et à la culture, n’est consacré
dans cette Constitution bâtarde qui se contente de nous concéder la permission
de travailler ou qui se limite à « reconnaître et respecter » ce qui existe dans
les Etats sans le prendre à son compte ; je défie les dirigeants du Parti
socialiste et des Verts de citer les articles de ce traité qui consacreraient le
droit au logement, le droit à un minimum d’existence, le droit à un salaire
minimum, le droit à une allocation de chômage, le droit à une pension de
retraite. Ils n’y sont pas ! 19 millions de chômeurs en Europe attendent de ceux
qui se disent de gauche autre chose que des politiques qui prétendent faire du
social avec du libéral. - c’est en
Europe qu’ont été conçus les services publics, ces outils qui permettent aux
pouvoirs publics locaux, régionaux et nationaux, de rendre les droits collectifs
accessibles à tous ; la Constitution qu’on veut nous imposer ignore la notion de
service ; elle ignore les services publics ; elle ne parle que des services
d’intérêt économique général qui sont soumis aux lois de la concurrence et à la
logique de la rentabilité; - enfin, c’est
en Europe que le principe d’un ordre mondial basé sur la force du droit plutôt
que sur le droit de la force a été conceptualisé ; la Constitution qu’on veut
nous imposer soumet la politique étrangère et de défense de l’Europe à l’OTAN,
l’OTAN qui n’est pas une institution européenne, mais dont il est clairement
écrit qu’elle est « le fondement de la défense collective et l’instance de sa
mise en œuvre.» Qui, en dernier ressort, dirige l’OTAN ? Le Président des
Etats-Unis d’Amérique. Ce texte n’est
pas l’Europe, ce n’est qu’un mauvais texte à propos d’une vision de l’Europe
étrangère à l’Europe. Ce n’est pas le projet de ma
génération. 3. Je suis
contre ce traité parce qu’il rompt avec ce qui fut pendant près de 50 ans la
raison d’être et le moteur de la construction européenne : l’harmonisation par
le haut ; l’espérance européenne est d’abord un espoir d’égalité entre les
peuples : égalité du niveau de vie, égalité des chances. Ce traité abandonne
l’harmonisation pour la compétition, puisque l’harmonisation dépendra désormais
des règles du marché et non plus de la volonté commune des Etats
membres. 4.
Je suis contre ce traité parce que ce n’est pas une Constitution ; c’est un
catéchisme néolibéral : - ce texte
reconnaît comme fonctions essentielles des Etats des fonctions exclusivement
sécuritaires ; - ce texte
subordonne toutes les politiques sociales et environnementales aux lois du
marché ; - ce texte
remplace l’économie de marché réglementée et encadrée que nous avons pratiquée
depuis la Libération et qui est compatible avec un fort niveau de protection
sociale, par une économie de marché désormais conforme aux règles de l’OMC, une
économie de marché où « la concurrence est libre et non faussée » ;
Cette caricature
de Constitution consacre un principe : « tous les pouvoirs émanent de
l’argent. » 5. Enfin, je
suis contre cette Constitution parce qu’on ne pourra pas la changer. Pourquoi
ceux qui auront dit « oui » voudraient-ils aussitôt changer ce qu’ils auront
accepté ? A 25 aujourd’hui, à 27 dans deux ans, - avec des pays
dont les gouvernements, conduits par des libéraux de droite ou de gauche, nous
disent qu’ils veulent l’unanimité pour qu’il n’y ait aucune modification en
matière fiscale, en matière sociale, en matière agricole, en matière
environnementale ; - avec des pays
qui considèrent que les concessions faites pour adhérer à l’Union représentent
l’effort maximum d’une génération, la règle de
l’unanimité, unique au monde, va imposer cette Constitution non seulement à
nous-mêmes, mais à nos enfants et petits enfants. C’est cela que
veulent imposer aux générations futures les septuagénaires Giscard et Chirac,
Mauroy et Rocard et l’octogénaire Delors. Tous les âges sont respectables bien
entendu. Mais pourquoi ces gens du passé veulent-ils nous imposer leur passif ?
Qu’ils se souviennent de ces hommes jeunes qui ont fondé la République en 1793.
Ces jeunes avaient inscrit dans la première Constitution républicaine une marque
de sagesse bien absente aujourd’hui : « Une génération ne peut assujettir à
ses lois les générations futures. » Souvenons-nous
aussi de la mise en garde de Mirabeau : « les hommes passent la moitié de
leur vie à se forger des chaînes et l’autre moitié à se plaindre de les
porter. » Ami, entends-tu,
à nouveau, le bruit sourd du pays qu’on enchaîne ? Ami, vois-tu ces
banquiers, ces hommes d’affaires, ces technocrates et leurs relais politiques
qui veulent nous imposer des chaînes qu’avec nos arrières grands parents et
Jaurès, avec nos grands parents et ceux du Front Populaire, avec nos parents et
ceux de la Résistance nous avions brisées ? Nous ne sommes
ni des banquiers, ni des hommes d’affaires, nous sommes encore moins ces
technocrates et ces politiques qui leur servent de relais. Nous sommes le
peuple. Et le peuple affirme qu’accepter cette Constitution, c’est
nous aliéner et aliéner les générations à venir. Accepter cette Constitution,
c’est accepter des chaînes que nos aînés avaient brisées.
Par contre,
rejeter cette Constitution, c’est signifier que nous voulons une Europe
européenne, c’est-à-dire - une Europe où
la solidarité s’organise dans la liberté ; - une Europe où
l’égalité s’impose dans la diversité ; - une Europe où
l’homme vit en harmonie avec la nature ; - une Europe
pacifique qui entretient avec les autres peuples du monde des rapports qui ont
rompu définitivement avec toutes les formes de néocolonialisme et
d’exploitation. C’est le message
que nous entendons adresser aux autres peuples d’Europe et du monde.
Nous sommes confrontés au
plus important des choix que nous ayons eu à faire depuis plus de 60 ans. Une
nouvelle fois, on veut nous imposer un modèle de société qui est étranger aux
valeurs européennes. Il faut choisir : se résigner ou résister. Une nouvelle
fois, au rendez-vous de l’Histoire, comme en 1793, comme le 18 juin 1940, il
appartient au peuple de France de brandir la lumière de l’espérance. Malraux
écrivait « Seuls les esclaves disent toujours oui ». Une nouvelle fois,
au rendez-vous de l’Histoire et de l’espérance, quand l’essentiel est en cause,
il faut savoir dire « NON ». Raoul Marc
JENNAR
une dernière analyse du traité faite
par Raoul Marc Jennar
REFUSONS CES CHAINES QU’ON VEUT NOUS
IMPOSER
(Chercheur auprès d’Oxfam Solidarité et animateur de
l’URFIG - Unité de Recherche, de Formation et d’Information sur la
Globalisation).