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Le blog de Blang
28 mai 2005

Ouiouistes et nonistes : derniers échanges Le «

   

Ouiouistes et nonistes : derniers échanges

Le « non » de gauche
Christian Bouchindhomme

Il sera impossible de faire valoir un « non » « de gauche », d’abord pour une raison de droit, — un référendum n’est pas un scrutin à programme, l’électeur n’y est pas invité à déterminer son choix, ni à le justifier —, pour des raisons idéologiques, ensuite. Peut-être, les partisans d’un « non » à gauche auraient-ils été crédibles, s’ils avaient promu ensemble une base commune de renégociation. Mais une telle chose était bien sûr impossible et le demeurera après le 29 mai.
Peut-on alors, indépendamment des spéculations des états-majors, dégager un « “non” de gauche » à partir de l’électorat ? Il n’existe pas de moyens institutionnels de le faire, mais admettons qu’on s’y hasarde à l’aide des sondages. Si l’on se fonde sur les préférences partisanes, il apparaît que le « non » est majoritaire à gauche (entre 58 et 62%), très minoritaire à droite (entre 9 et 11%), et enfin majoritaire (entre 95 et 100%) à l’extrême droite et auprès des citoyens sans préférence partisane. Ainsi, tous calculs faits, le « non » de toutes les gauches n’est pas majoritaire : il regrouperait entre 20 et 22% contre 21 à 23% à toutes les droites, 10% se déclarant ni de droite, ni de gauche. Prétendre convertir, par conséquent, un éventuel « non » majoritaire en « victoire du “non” de gauche » est donc un vœu pieux ou une supercherie.
Le « “non” de gauche » serait ainsi une fiction — qui rencontre un tel succès qu’elle devient fantasme de réalité. À l’analyse, on peut même la décrire comme procédant d’un étonnant effet de feed-back bien entretenu. Certains états majors ayant besoin du « non », quelle qu’en soit la véritable couleur, se sont fondés sur un certain état d’ignorance de leur électorat pour nourrir ses craintes et en récupérer les dividendes.
De fait, lorsqu’on observe les résultats du seul sondage récent (Louis-Harris pour iTele et Libération — 20 et 21 mai) qui aborde les motivations substantielles des citoyens (a priori indépendantes des préférences partisanes), cette thèse reçoit un certain crédit. Ce sont essentiellement des peurs qui motivent le « non » des citoyens français, à savoir la peur que cette Constitution soit non seulement un carcan — parce qu’elle n’est pas révisable (69%) — mais encore un carcan libéral (62%), et la peur qu’elle ne conduise à une adhésion automatique de la Turquie (49%).
Les états-majors du « non » à gauche peuvent donc se réjouir : ils ont été entendus. Mais sont-ce bien là des motivations « de gauche » ? Éliminons tout d’abord la crainte turque, qui n’est de toute façon pas créditée à gauche — à supposer qu’une telle peur soit légitime, elle est institutionnellement infondée (cf. art. I-58.2 du traité et art. 88-5. de la Constitution française). Qu’elle persiste cependant en dit long sur l’inefficience du débat et sur son incapacité à apporter la moindre lumière.
Et, peut-être n’en va-t-il pas autrement des deux autres peurs. On hésite certes à demander à chaque citoyen d’être un expert de droit constitutionnel, pourtant dès l’instant où il doit pouvoir appréhender la loi constitutionnelle comme s’il en était le co-auteur — ce qui est une condition de la démocratie —, il doit aussi se donner les moyens, fût-ce à titre personnel, de le faire. Or nos concitoyens n’ont pas pris cette peine, et se battent aujourd’hui contre des moulins à vent. Ils se réfugient dans leur ancrage à gauche, mais le sens de leur motivation révèle le peu de sincérité dans cet ancrage.
La Constitution serait donc un carcan libéral auquel ils seraient opposés. Nos concitoyens sont donc hostiles à 62% au libéralisme (comme ils le prouvent effectivement à chaque élection décisive, par exemple les législatives de 2002). Que cette Constitution soit ce qu’ils disent, ils ont beaucoup d’éléments pour y croire dur comme fer — Attac a mis à leur disposition des centaines d’« argumentaires » (mot odieux qui désigne, dans le domaine commercial, la liste des arguments de vente…) qui leur donne le « droit » de le penser.
Ont-ils pour autant raison et cela révèle-t-il leur caractère d’hommes et de femmes de gauche ? Voir une constitution comme un carcan est une idée en tout cas bien si peu constitutionnelle qu’il est difficile de la dire de gauche. Une constitution n’est pas un code de lois impératives, prescriptives, mais un cadre organisationnel élaboré sur des principes universalisables (et non a priori universels), par conséquent toujours et en permanence soumis à l’interprétation des personnes concernées — c’est là ce qui ouvre l’espace dans lequel sont mises en œuvre les politiques.
On conteste par exemple la formule « … où la concurrence est libre et non faussée » (art. I-3.2), mais comment la lit-on ? La ramener à l’impossibilité pour un État ou pour l’Union de soutenir une entreprise est non seulement erronée, mais encore unilatéral. Elle néglige sciemment d’autres lectures possibles, qui peuvent trouver dans cette formule un recours pour d’autres types d’interventionnisme, empêchant par exemple les concentrations et la formation de monopoles privés, ou rendant difficiles sinon impossibles les accords multilatéraux d’investissement. Aucun article, même ceux de la partie III, n’est donc à lire de manière univoque et directement politique. Cette dimension fondamentale du traité constitutionnel est ignorée, et, loin d’éclairer nos compatriotes, le débat et les argumentaires évoqués plus haut les ont enfermés dans un débat technique sans fondement qui a accrédité l’idée du « carcan libéral ».
Nos compatriotes seraient donc de mauvais constitutionnalistes — peut-être parce qu’il n’y a pas en France de vraie culture publique en ce domaine. Admettons ; mais on peut aussi penser qu’ils projettent un caractère impératif sur le droit constitutionnel pour se défausser de leur nécessaire participation politique — sans laquelle il n’est pas de démocratie, pourtant. Parce qu’ils aspirent peut-être à une constitution idéale dont toute action politique se déduirait automatiquement, ils prennent prétexte de la difficile révisabilité de celle qui nous est proposée pour en induire que, si elle est pérenne en l’état, elle n’est pas la leur — elle n’est pas leur idéal. S’il en est bien ainsi, et il suffit d’écouter pour s’en convaincre, c’est une manière de se représenter une constitution, qui est essentiellement fainéante et indigne de citoyens autonomes. Elle témoigne en tout cas d’un repli sur soi — sphère privée, sphère nationale — qui se place difficilement à gauche, mais n’est pas sans rapport avec un certain populisme.
La thèse du « libéralisme » de la Constitution ne tient donc que si on ne la lit pas comme une constitution. Voyons maintenant ce qu’il en est du carcan pour cause de non-révisabilité.
Ne serait-ce pas, dans la même ligne, que l’on préfère réviser la Constitution plutôt que de se battre afin que les politiques soient révisées ? Encore une fois, c’est par les politiques qu’elle permet qu’une Constitution gagne sa crédibilité. La seule question qu’un homme ou une femme de gauche doit donc se poser est la suivante : cette Constitution permet-elle la mise au point d’une action politique concertée, démocratique, solidaire ?
La réponse est clairement oui, parce qu’on a manifestement veillé à l’essentiel, à savoir que Constitution, dans son imperfection, rompe néanmoins avec l’intergouvernementalité — ce qui vaut bien plus qu’une révisabilité facile.
L’article I-24, sans équivalent bien sûr dans les traités antérieurs, dit ceci : « le Conseil siège en public lorsqu’il délibère et vote sur un projet d’acte législatif. » Cela paraît anodin, presque trivial, c’est pourtant la consécration d’un principe : la délibération plutôt que la négociation. Cela signifie que, pour la première fois, à l’échelle européenne, les continuités politiques sont assurées. Elles le sont dans la représentation, qui ira désormais du peuple au Parlement, et du Parlement à la Commission (dont le Président — et donc la Commission — devra appartenir à la majorité politique du Parlement), et elles le sont dans le débat, qui pourra aller du Parlement à la Commission, de la Commission au Conseil, et du Conseil au peuple (en délibérant en public, le Conseil devient comptable et responsable devant le peuple des arguments qui pourront être avancés). Les moyens existent donc pour investir l’espace ouvert par cette Constitution et donner une autre dimension aux institutions européennes, il suffit de s’en saisir. C’est ce qui permet de dire que la révisabilité n’est qu’accessoire. L’important est de donner du muscle au squelette constitutionnel. Et il ne se musclera qu’en marchant, c’est alors que nous rencontrerons la question des révisions, et révisabilité ou non, ces révisions s’imposeront d’elles-mêmes si une volonté politique est à même de se former — et elle ne dépend pas de la Constitution.
Il est enfin un autre point qui distingue le traité constitutionnel des traités antérieurs, et auquel les hommes et les femmes de gauche devraient être plus sensibles qu’ils ne sont. On incrimine la partie III, expression du monétarisme, qui se voit ainsi inscrit dans le marbre constitutionnel. On se demande ce que cela vient faire dans ce traité. C’est assez simple, mais incontournable : les deux traités actuels accordent (via le traité de Rome) la personnalité juridique aux seules Communautés européennes comme émanation d’un traité international. L’Union (issue du traité de Maastricht), qui pourtant seule nous importe, n’en dispose pas. Les embryons d’institutions politiques qui existent actuellement sont donc des concessions extérieures, des extensions symboliques et le plus souvent non soumises à une réelle contrainte, eu égard à la personnalité juridique des Communautés européennes, dont l’essence est d’abord économique. Le saut qualitatif que représente le traité constitutionnel réside justement en ceci qu’il abroge les deux traités précédents. Pour cela, il était nécessaire d’en intégrer la substance. C’est ce qu’il fait avec la partie III. Désormais, les traités de Rome et de Maastricht sont enveloppés par la réorganisation des embryons politiques qui ont la possibilité effective d’éclore, ce qui était jusque-là impossible ; même si cela prendra du temps, c’est à ce prix que le traité de Rome pourra se dissoudre.
Si maintenant on enlève la partie III, c’est-à-dire, le préalable juridique du traité constitutionnel, cela impose, ipso facto, un retour à la case départ. La base juridique reste dans l’économique ; on conserve, d’une manière ou d’une autre, le traité de Rome, dont les institutions politiques redeviennent des appendices symboliques — à l’instar de l’actuelle Charte des droits fondamentaux — sans aucune force juridique.
Lorsque Laurent Fabius prétend qu’il faut renégocier sur cette base, faut-il comprendre qu’il entend revenir au traité de Nice, avec une adjonction constitutionnelle ? Comment résout-il le problème juridique ? On l’ignore. Mais on ne voit pas, comment dans le cadre d’une re-négociation, qui devra compter avec d’autres « non », notamment le « non » populiste néerlandais, le nouveau traité ne se ferait pas à la baisse et au détriment de la politique. En rendant simplement la main à l’intergouvernementalité — dont Fabius apparaît comme un adepte lorsqu’il prétend qu’il suffit de s’installer autour d’une table pour résoudre toutes les crises —, on donnera gain de cause aux nationalistes et aux souverainistes et renverra les conquêtes politiques au magasin des idéalités et des espoirs sans lendemain.
Il est vrai qu’il pourra compter, pour le soutenir dans cette démarche audacieuse, sur un soutien de poids : celui de Tony Blair, et donc… d’une certaine vision de la gauche. Peut-être, aussi sur celui de certains souverainistes… de gauche. Mais ce sera tant pis pour la gauche.

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Commentaires
M
Sur http:lagauche.canalblog.com , êtes-vous plutôt pour les grands soirs ou plutôt pour les petits matins ?
P
D'accord pour le lien ... A bas la censure ...
M
Avez-vous apprécié la rubrique "devinettes élucidées" ? Et en particulier la devinette : "quel est le philosophe préféré des poux ?"
G
Ah oui moi je suis d'accord, j'ai hâte de voir la naissance de l'europe libér... euh pardon, sociale !
M
L'Homme est un gourou pour l'Homme ... Etes-vous d'accord avec cette idée ?
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